Pharmacopée n°16

Dans le Gorgias, Socrate lance la célèbre phrase : « Nul n’est méchant volontairement. » Je la considère comme un viatique à emporter avec moi dès que je quitte ma maison, et, pour tout dire, aussi à domicile, même seul, elle m’aide. « Nul n’est méchant volontairement. » Le pire des scélérats comme les jeunes filles qui se sont moquées de moi hier, tous nous aspirons au bonheur. Voilà qui nous unit ! Le bouddhisme étant l’intuition.

Mon chat Zénon, mes hamsters Cars et Moustache, tous les êtres vivants désirent ne pas souffrir. Dès lors, chacun de nos actes, nous le posons dans l’espoir d’éviter la souffrance et nous rapprocher peu ou prou de la joie. Derrière la maladresse des yeux moqueurs, sous l’insulte de cet automobiliste par trop pressé, je peux donc deviner un désir, le souhait de vivre bien. Mais pourquoi diable alors me cause-t-il du mal ? C’est peut-être tout simplement parce qu’il s’y prend mal. Inconsciemment, il s’imagine sans doute qu’en se défoulant ainsi, il s’épanouit alors qu’au contraire, je suppose, toute méchanceté est un auto-goal, un boomerang que l’on s’envoie dans la figure. « Nul n’est méchant volontairement. » relève de la foi plus que de la certitude. Le spectacle de l’actualité pourrait m’en faire douter mais  je veux y croire pour ne condamner personne et voir en chaque être humain un compagnon de route sur le chemin du bonheur, chemin sur lequel nous nous égarons si facilement.

22 Comments on “Pharmacopée n°16”

  1. Après avoir lu votre dernier livre cette pharmacopée paraît très importante. Un problème central pour vous… La phrase de Socrate est à peu près aussi difficile à accepter que le tendre l’autre joue de Jésus. On y voit une résignation, une vertu suprême réservée aux saints ou aux sages… Et pourtant…
    En lisant votre livre je comprends que vous avez quelques difficultés à intégrer cette formule… Vous y adhérez théoriquement mais vous vous heurtez à la réalité de vos émotions face à la méchanceté…
    Je relève cette phrase Nul n’est méchant relève de la foi plus que de la certitude… Voilà je crois votre erreur de raisonnement… si je puis me permettre. A vous d’en juger… Moi je dirais que si on accepte la phrase de Socrate il faut l’accepter comme une certitude. Nul n’est méchant dit Socrate car nul ne se voit comme méchant. Démonstration simple et facilement compréhensible. Hitler se voyait comme un bienfaiteur de l’humanité, comme celui qui avait le courage de débarasser l’humanité des races inférieures… Ainsi Hitler jusqu’à son dernier souffle se voit comme un mec bien… Et ça pour moi c’est une certitude. Hitler se voit comme quelqu’un de lucide tandis que la masse des gens est naïve ou inconséquente… Voilà comment il faut comprendre la phrase…
    Je crois qu’il est fondamental de comprendre ce raisonnement pour se maintenir dans la joie… En effet si on se dit qu’il y a des gens méchants qui sont heureux et fiers d’être méchant alors la joie en prend un coup.
    Une autre façon d’aborder la question c’est de se dire que pour changer l’autre, pour avoir une petite chance de changer l’autre il faut comprendre son mécanisme de pensée, se mettre à sa place, sans approuver quoi que ce soit pour autant…
    Un autre angle c’est le souci de préserver sa joie. Les méchants sont si nombreux, et nous le sommes parfois nous-mêmes, ne nous leurrons pas, que se faire un ulcère en pensant à eux c’est véritablement foutre sa joie en l’air et pour longtemps…
    On ne peut pas changer les gens méchants en une minute donc en pratique si on en croise la bonne tactique consiste à s’éloigner pour garder son équilibre… Et à avoir un brin de compassion pour ces gens qui vivent ainsi dans un bouillon malsain…

  2. l,es petites méchancetés courantes les regards moqueurs , les petites critiques désagréables
    sont dites sans réfléchir ou par bêtise , pas volontairement

    comment faire pour y être indifférent ? je pense qu’on
    nous attachons beaucoup trop d’importance à notre ego .
    toute notre culture occidentale y mène .
    et si nous pratiquions un peu moins de nombrilisme et un peu plus de compassion ?

  3. Bonjour Alexandre: je suis contente de vous voir vous tourner délibérément vers la sérénité .
    Oui- vous l’avez compris, l’acte de bonté, comme l’acte méchant, déclenche un effet boomerang à court ou long terme : chacun de nos actes a un effet sur les autres et sur nous mêmes par ricochet .
    Personne n’est volontairement méchant et tous ont toujours de bonnes raisons pour se justifier: le commun des mortels agit mal par manque de réflexion,par égoïsme, distraction, sottise ,pour se faire remarquer, pour amuser les uns au détriment des autres « pour rigoler un peu »
    Individuellement, ces jeunes qui se moquent de vous ne le feraient surement pas s’ils étaient seuls .C’est triste à supporter au quotidien -Il faudrait avoir le courage de leur en parler droit dans les yeux en disant le mal que cela vous fait avec une grande simplicité : daice qui vous est arrivé peut arriver à leurs enfants . Je pense à vous et compte sur votre élévation d’âme Amitiés Hélène

  4. Bonsoir,
    J’ai lu l’apogée de Socrate par Platon, ses détracteurs ont tout fait pour le mettre en difficulté et Socrate ira jusqu’au bout de ces valeurs de vie qui le mêneront à la mort plutôt que l’exil…
    J’aimerai croire à la justesse de cette phrase de Socrate, mais je crois qu’il y beaucoup d’ignorance dans les paroles des gens malveillants et un malaise avec leur propre personne.
    En tout cas, il y a tant de personnes qui ont plaisir à vous rencontrer et à partager avec vous, Si ceux qui se sont moqués de vous apprennaient à vous connaître ils auraient un tout autre regard sur votre personne…
    Bonne continuation Alexandre entouré de vos proches, amis …

  5. Tout d’abord, je crois qu’il faut distinguer ceux qui font du mal à autrui délibérément, donc avec une intention et une volonté préalables, originelles à l’acte d’être méchant – et dont le fondement se situe dans le mal et donc dans l’absence de bien ; et les actes ou paroles d’agressivité et malveillance envres autrui, moins « volotaires » mais qui frappent là où ça fait mal, qui causent un préjudice et génère de l’injustice.
    Que ce soit un fond méchant ou des actes méchants, on peut expliquer ces deux porteurs de mal comme étant une manière de compenser un profond mal-être intérieur, une frustration, une vie blessée, une histoire trop lourde à porter.
    Dans la personne blessante, il y a toujours la personne blessée. La méchanceté serait donc dépendante de l’affect et des émotions. Tout est lié et plusieurs conditions peuvent entrer en ligne de compte : l’éducation, la transmission, la culture, l’histoire et ses traumatismes, les rencontres, les influences, les coups du sort – et toutes les zones d’ombres que charrient l’inconscient……La méchanceté interviendrait lorsque la personne se sent impuissante, démunie et qu’ainsi elle pourrait se re-affirmer, s’auto-défendre, inconsciente qu’elle s’auto-mutile aussi.
    Mais le profond mal-être ne doit pas faire accepter que l’être s’engage dans la voie du mal. Il peut aussi en predre conscience, faire un travail sur soi, entendre et résister aux appels et aux voix pernicieuses qui le taraudent.
    Et pour répondre sur un point à Hansitrois, c’est ce que n’a pas fait ou pu faire Hitler, enchaîné à sa paranoïa et à sa passion maladive de la haine, induites vraisemblablement (aux dires d’analystes de son parcours) par une enfance très douloureuse, un père extrêmement autoritaire et une impuissance sexuelle qui l’annihilait. A cela s’ajoute l’adhésion d’un
    peuple crédule, en lien avec le contexte historique……..Tout fait sens.
    C’est la somme de multiples interprétations qui constitue une approche possible de la vérité, si vérité il y a. Comme le dit le philosophe Paul Ricoeur, face à tout phénomène, il faut expliquer et comprendre, « expliquer plus pour comprendre mieux et comprendre, c’est se comprendre soi-même ».
    D’où ici, l’ouverture aux multiples pensées que nous offre Alexandre.

  6. Je suis venue sur ce site car j’ai fait l’expérience, il y a peu, de me faire moquer dans la rue par un groupe de jeunes gens de grande taille, moi qui suis petite et devenue bossue avec l’âge, blanchie, même si je ne suis pas très vieille avec mes 65 ans. Je distribuais des prospectus électoraux et j’ai été surprise entrain de peiner sur la pointe des pieds pour atteindre une lignée de boites très haut perchées.
    Je me suis sentie pitoyable, non respectable et même en danger d’être bousculée. J’ai ressenti ce que la vieillesse en France peut avoir de répulsif, rebutant au point de faire peur. J’ai bien évoqué en moi-même que, possiblement, la peur de vieillir armait les sarcasmes rigolards de ces jeunes gens et cela m’a protégée de les maudire. Cependant, j’ai ressenti un vif danger et l’image que j’ai de moi et de mon devenir (de plus en plus vieille, rabougrie et malade jusqu’à la mort) a été assombrie par la peur d’être reléguée, parquée, aliénée par la société actuelle dont ces jeunes traduisaient l’idéologie « jeuniste ». Alors, je suis venue ici et je trouve cette 16ème pharmacopée qui tombe pile.
    Certes, tout un chacun a de « bonnes » raisons de faire la pire ânerie qu’il vient de commettre. Et si l’on veut le confronter, il vaut mieux passer par le
    chemin de la recherche de ces « bonnes raisons ». Je doute fort qu’un seul de ces garçons aurait eu l’idée, isolément, de se moquer de mon allure ratatinée. En groupe, ils se sont livrés à de la violence verbale, mais la thématique « fuyons ce qui fait peur et écrasons le faible pour qu’il disparaisse de notre vue » m’a tout de même renvoyé ma faiblesse et ma laideur supposée ainsi que l’abîme qui est devant moi lorsque je regarde le vieillissement avec des yeux déprimés. Il se trouve que mon métier, car je travaille encore, c’est de m’occuper de malades très âgés. Cette expérience achève de me convaincre, s’il en était besoin, que nous avons intérêt de ne jamais banaliser le mal, mais au contraire de chercher à en comprendre les racines et à organiser prévention et curation : éducation, communication. Et à ne pas rester seul dans la peine. Le mal existe. Le comprendre, ce n’est pas essayer de croire que c’est un bien qui s’ignore ou s’est égaré dans les procédés défensifs de la projection sur autrui (par exemple). Mais répondre à la stigmatisation par une autre (les jeunes sont des …) c’est prolonger le mal. Aussi isolément que soit faite une faute, c’est solidairement qu’elle doit être réparée. Amicalement.

    1. Caroline,

      A mon idée il faut prioritairement travailler sur l’image que l’on a de soi. Avoir sur soi un jugement équiibré de façon à réduire sa dépendance par rapport au regard des autres. Je dis réduire parce que je sais que c’est pas facile, mais on peut parvenir à se rendre assez indépendant.
      Ensuite on peut déterminer quelles actions peuvent être menées pour communiquer et éduquer.
      L’idée de parvenir à « réformer » les méchants est presque une idée politique, l’idée de se réformer soi pour ne plus dépendre d’enfants mal lunés ou mal éduqués et des sots et des méchants me paraît essentielle.

  7. Bonjour,
    J’ai vécu les moqueries et les petites méchancetés quotidiennes à l’âge de 6 ans. J’ai été atteinte d’une leucémie et la chimiothérapie avait fait tombé mes cheveux. Je revois encore le regard moqueur des autres enfants de mon âge. C’est n’est pas à eux que j’en ai voulu par la suite mais à leurs parents qui les empêchaient de m’approcher, en leur disant ‘ne t’approche pas elle est contagieuse C’était l’ignorance et surtout la peur qui les faisaient parler. Je crois que ces petites méchancetés, je dis petites car à mon avis elles sont dites sans réfléchir aux conséquences, sont exprimées par auto-défense et par peur. Peur que la différence, le mal dont est atteint la personne les touche.
    Quant aux personnes méchantes, cassantes, celles qui vous envoient des piques sont malheureuses et ne savent comment être heureuses. Leur mal-être se caractérisent par méchanceté envers les autres. En faisant mal aux autres, je suis méchant, et si je suis je ne suis pas quelqu’un de bien, je me punis. Je crois que ces personnes sont plus à aider qu’à blâmer.

    1. Contente de découvrir ce forum sur les questions traitées par Alexandre Jollien! Je trouve que c’est un peu trop « intellectuel » peut-être pour moi, mais je veux bien revenir de temps à autre vous lire… Je saurai alors …
      Merci Maëlle pour le « quelqu’un m’a dit »

  8. Je remercie ceux qui ont pris la peine de me lire et de répondre à mon témoignage et mes réflexions, ainsi que ce site qui propose cet espace d’échanges.
    Je ne pense pas qu’il faille nécessairement séparer le politique du philosophique ni du psychologique. Nous n’évoluons pas comme des monades aériennes dans un monde sans pesanteur et sans lois. Si la morale évolue, c’est lorsque les habitudes changent. Si les habitudes changent, c’est qu’elles sont rendues techniquement possibles. Si vous arrivez à rendre libre une femme épuisée de grossesses et de lessives à la main, confinée chez elle sous la tutelle d’un mari, mutilée par des rites archaïques et exclue du dialogue social, expliquez-moi comment.
    Ma propre image, ce n’est pas ça qui m’inquiète. En revanche, ce que la société fera de moi en raison de mon image, cela est en droit de m’inquiéter. Le meurtre psychique existe et il commence dans de toutes petites interactions, en plein jour, et pas seulement dans les zones de non-droit que les sociétés laissent dériver et pourir.
    Le débat consistant à opposer la réforme de soi à la réforme du monde me semble vain. Cela ne s’oppose pas. Changer est très difficile et en même temps inévitable. Les ressorts du changement sont nombreux et surprenants. Certes, l’ignorance et la peur sont facteurs de stagnation et de violence. Il est des cultures où le vieux, le « fou », le contrefait sont admis et ont leur place. Il en est d’autres où l’on travaille à les parquer, les stigmatiser et réduire. Nous avons connu une époque récente, en France, où sous le joug nazi, nous en avons exterminé beaucoup y compris en les laissant mourir de faim dans les asiles.
    Ce n’est pas mon petit minois de pauvre mémé qui m’a déplu dans le miroir tendu par ces jeunes gens, c’est la menace d’un horizon social disqualifiant et ségrégationniste. Il me semble que lorsque j’étais adolescente et jeune adulte, cela ne se passait pas comme cela. Mais il y avait alors bien moins qu’aujourd’hui, de personnes âgées, voire très âgées. J’ai accepté d’avoir eu le déplaisir de constater « mon Dieu, c’est donc vrai que je suis devenue apparemment une autre » et j’ai su m’en apaiser. Mais je reste intranquille au sujet des autorisations à la « méchanceté » que peut donner une société orientée sur le profit immédiat et la primauté de l’argent. Amicalement.

  9. Chère Iroise,

    Je respecte l’action politique et j’estime que c’est le moyen de faire évoluer les choses. Mais pour moi la réflexion philosophique est centrée sur la connaissance de soi. L’un n’exclut pas l’autre. Mais pour autant la politique est la polique et la philosophie la philosophie. Un bon philosophe ne sera pas pour autant un bon juge en politique. La corrélation n’est pas automatique. Pourtant la politique reste une grande tentation pour les philosophes. Je pense à Sartre qui au bout de son chemin philosophique n’a vue que la politique pour donner à sa vision philosophique une dimension concrète. Le résultat ? Après une analyse du stalinisme il a fait le choix de soutenir… Mao Zédong. Brillante intuition… A croire que son analyse du stalinisme exluait que le prochain Staline puisse avoir les yeux bridés. Je me moque mais avouons que question politique Sartre était sérieusement à côté de ses pompes… A l’inverse si l’action politique de BHL me paraît tout à fait honorable son niveau philosophique est tout à fait déplorable.
    La politique est une chose, respectable, utile, qui vise à faire évoluer les mentalités dans un sens positif, c’est ma façon de voir la politique… Et la philosophie est la manière de mieux maîtriser mes désirs et mes peurs pour chasser le mal qui est en moi et me maintenir dans la joie comme dit Alexandre Jollien.
    A mon sens l’action politique est à grande échelle et à long terme, l’action philosophie est à l’échelle personnellet et à court terme car nos vies sont brèves.
    Je n’oppose pas du tout réforme de soi et réforme du monde. Par contre je donne une priorité à la réforme de soi car la politique n’a pas plus de valeur que la valeur individuelle de ceux qui l’incarnent. Derrière une idée il y a toujours qu’on le veuille ou non un inidividu… Quel individu ?

  10. Cher Hansitrois,
    Je suis plutôt d’accord pour considérer qu’il y a un individu derrière chaque idée et ne jamais oublier cette personne. Il y a même plusieurs idées dans chaque individu et parfois elles se contredisent. Et les idées ne se constituent pas par génération spontanée. Elles se construisent au fur et à mesure des rencontres que sont les dialogues , que ce soit de visu ou par la lecture et surtout les pratiques. Les convictions se forgent avec les expériences vécues. La pensée, la plus psittaciste comme la plus évoluée , est d’abord expérimentée. JANKELEVITCH qui est loin d’être un philosophe mondain ou superficiel a bien écrit que « les nazis ne sont des hommes que par hasard. » C’est énorme, n’est-ce pas ?
    C’est dans ce que fait réellement une personne que l’on peut voir qu’elle est sa philosophie, même s’il ne s’agit pas d’un système philosophique à proprement parler. Mais peut-être y a-t-il glissement ou confusion avec la morale ? Il y a des moments où la politique est prioritaire et des moments où c’est la philosophie. C’est pour moi un problème chronologique, car les deux doivent toujours se suivre. Pour revenir à mon expérience, sur le moment, j’ai ressenti de la surprise, puis de la peur, puis de la révolte, puis j’ai vu poindre le souhait de ne pas me laisser égarer par le tumulte émotionnel, de ne pas rentre dans le jeu de la violence, puis j’ai répliqué une phrase que je voulais humoristique et non blessante à ces jeunes (et j’y suis arrivée) , puis j’ai vu que je ruminais sur la vieillesse comme handicap et j’ai réalisé , pour la première fois réalisé, oui, que la vieillesse est éternelle. Non pas seulement que tous les jeunes finissent par devenir vieux, mais surtout qu’une fois qu’on a commencé à devenir vieux, cela ne s’arrête jamais. Et j’ai eu de la peine. Et j’ai songé à raconter cela à une amie de mon âge dans un mail. Puis à aller sur le site d’Alexandre JOLLIEN qui sait de quoi il parle. S’il est si intéressant, c’est parce qu’il vit ce qu’il dit. J’ai plusieurs « combines » à distance d’un affront. La première, c’est d’imaginer les qualités de mes agresseurs : ils étaient groupés, ils sortaient d’un joli véhicule, ils étaient sveltes et paraissaient en bonne santé, ils étaient plutôt beaux, ils s’amusaient. Bref, ils avaient l’air de personnes actives et cherchant les agréments de la vie. Pas le moins du monde des jobards le couteau entre les dents. La seconde, c’est de voir, avec MONTAIGNE à quoi ce malheur peut être bon. Ces irrévérencieux m’ont conduite à découvrir « pour de vrai », en le touchant du doigt , que la vieillesse est éternelle et qu’il faut peu pour la transformer en handicap. Il suffit d’un regard. On parle même, en France, du « cinquième risque » (dépendance, perte d’autonomie).Et ils m’ont conduite à prendre mon clavier pour partager mon expérience et mes réflexions, à faire la quête de paroles humaines , sensibles et réfléchies sur le sujet. C’est-y pas beau ça ? J’ai une crainte, dont je m’ouvre clairement à vous : j’ai dans l’idée que l’activité que je déployais lorsque ce minime incident s’est déroulé, vous brouille l’esprit.
    Merci d’avoir répondu.

  11. Cher Iroise,

    Je voudrais d’abord dire que nos échanges sur le site d’Alexandre JOLLIEN s’inscrivent totalement dans la thématique lancée par cette pharmacopée n° 16.
    A la fin de votre message vous semblez craindre que je ne juge l’incident que vous avez vécu en le situant dans le contexte de votre activité politique. La confusion est possible en effet puisque j’évoque l’action politique comme moyen de réduire le « Mal » ou la tristesse comme dirait Spinoza. Pour moi vous avez été clairement agressée pour votre apparence physique, je raisonne à partir de là. Ensuite je passe aux solutions possibles pour faire face à de tels comportements.
    La solution « politique » consistant à promouvoir le dialogue et le respect mutuel n’est pas ce dont je veux parler ici. D’autant que j’estime qu’il importe d’abord de se pencher sur vos sentiments personnels face à cet incident.
    Concernant l’âge, ou le handicap si on songe à notre hôte, il n’emporte aucune perte de valeur de l’individu. Il faut poser cette affirmation très nettement. En convaincre les autres est une autre affaire. Marc Aurèle évoque la beauté de la gueule ensanglantée d’un lion ou la beauté d’une vieille personne. Chez Marc Aurèle ce n’est pas pitié ou condescendance c’est un constat. Dans la Nature rien n’est beau en soi, rien n’est laid en soi. La Nature ne connaît ni la laideur ni la beauté, ni le temps ni l’espace, ni l’ordre ni le désordre. Donc la vieillesse n’est pas laide en soi, elle peut le devenir sur un plan culturel, ou devenir belle dans une autre culture…
    Sur un plan personnel l’idée de vouloir convaincre des interlocuteurs déplaisants, de les « éduquer » est un mauvais choix. L’urgence me paraît dans un tel cas de renforcer son estime de soi. Se perdre en actions ponctuelles alors qu’on peut encore être sous le coup de l’émotion est un très mauvais choix. La réponse immédiate est de se convaincre soi-même et de rétablir au plus vite sa sérénité et son estime de soi. Cela me paraît très clair. Vous ne pourriez songer à donner une leçon que si vous vous sentiez totalement à l’aise avec de tels comportements auquel cas vous pourriez vous distraire en donnant avec détachement une petite leçon probablement sans succès…
    Imaginons demain que tout le monde soit en mesure de développer une totale estime de soi, tous les railleurs du monde railleraient dans le vide. Donc l’efficacité commande d’agir sur soi. J’ajoute que vous pouvez agir sur vous-même nuit et jour tandis que vous ne pourrez dire que deux mots à la va-vite aux goujats de passage. Vos chances de succès en agissant sur vous sont nettement supérieures… Enfin la meilleure réponse à ces railleurs est qu’il aperçoive dans votre regard que ce qu’ils disent n’a aucun effet… Croyez moi ça se voit…
    J’ai conscience de donner des « bons » conseils mais je peux juste dire que je les applique, je les exerce, je les renforce à toutes occasions. Personne n’est obligé de me croire naturellement et au fond peu m’importe de convaincre du moment que j’en suis convaincu pour moi-même ! Bien amicalement.

  12. Bonjour Alexandre, je pense que la plupart des petites moqueries et mesquineries auxquelles nous avons tous été confrontées trouvent leur terreau dans la méconnaisance et témoignent le plus souvent de la faiblesse même de leurs auteurs. Pour être en contact régulier avec le public, j’observe régulièrement le phénomène de ces réactions en chaîne de la violence et de la méchanceté ordinaire. Réaction primitive de certains de nos concitoyens, se défouler sur un plus faible ou sur celui qui ne se trouve pas en position de réagir. L’exemple le plus criant est certainement celui que l’on peut observer aux caisses des grandes surfaces, je suis souvent outrée de voir le comportement d’une partie de la population du simple de dédain, déshumanisation de l’employé (pas un mot pas un regard) jusqu’à une agressivité injustifée.
    Néanmoins, il ne faut pas sombrer dans l’angélisme, certaine personne retire une jouissance à faire souffrir autrui (sans que l’on puisse les considérer comme des malades. Ils font parfaitement la différence entre le bien et le mal et ont totalement conscience des conséquences de ce que produire leurs actes).
    Lorsque le sentiment d’impunité existe, les actes sont d’autant plus cruels.

    1. Oui Marion, je partage votre opinion concernant la méconnaissance. Celui qui fait le mal n’est pas en mesure de discerner le bien. Il est dans l’illusion, dans l’ignorance – de par sa culture, son éducation , ses conditions de vie sociale – dans l’aliénation de par ses pulsions inconscientes – il se sent souvent exclu de la société. En quelque sorte, il n’est pas libre. Mais au-delà de ces conditions, qu’est ce qui le rend à ce point stupide pour ne pas préférer le bien, le bien qui rend heureux car comme le dit Alexandre « tous nous aspirons au bonheur ».
      Il y a derrière cela, une volonté de se sentir plus fort, une volonté de toute puissance qui occulte l’impuissance. En étant méchant, il se sent capable de transgresser les lois, de détourner la morale. Il va jouir de son ego surdimensionné qui l’empêchera de voir ce qu’il devrait et pourrait faire au regard des autrespour être aimé et aimer. Et selon le propos d’Hannah Arendt, le mal devient « banal ». Ce qui ne le disculpe pas . Mais il est dans l’ignorance, l’incapacité de comprendre, de juger, d’intégrer la notion de respect et d’amour , indispensable pour le bien vivre ensemble et être dans la joie.

      1. Je voulais juste rajouter que peut-être il serait bon d’enseigner la philosophie aux enfants, dès la classe de primaire, pour apprendre très tôt à penser, à discerner, à comprendre pour ensuite se comprendre soi-même.

      2. Chère Françoise, pour avoir été confrontée avec des personnes qui commettaient régulièrement des agressions parfois violentes, humiliantes en bande, je me suis rendue compte que le passage à l’action était facilité par le fait qu’elles ne considéraient pas comme leurs égales, les victimes.
        Elles ont bien conscience de la souffrance qu’elles peuvent infliger mais elle ne les atteint pas. Elles se créent un monde restreint où seules les membres comptent. Capables de pleurer la mort de leur chien d’être des enfants respectueux de leurs parents, des pères attentifs. Le manque d’esprit critique est malheureusement ce qu’il y’a de plus répandu et les médias et le système éducatif actuel sont loin de le favoriser. L’abondance d’informations a fait place à la réflexion à la grande joie des flemmards du ciboulot.
        Je pense que les êtres sensibles et sensiblisés aux sentiments d’autrui vivent plus intensément, leurs peines mais aussi leurs joies, le partage mais nous ne vivons pas dans le monde des bisounours

  13. Ce qui arme le sarcasme, le rejet, la violence verbale et/ou physique, c’est ce qui détermine socialement la dépréciation des qualités intrinsèquement humaines de la victime désignée. Lorsque j’étais enfant, les patronymes à consonance italienne ou polonaise étaient montrés du doigt et tournés en dérision, les personnes bafouées, minorées. À présent, nul n’y fait plus attention et aucune discrimination , en France, n’est construite sur l’origine slave ou transalpine.
    Nous avons inventé d’autres « étrangers » à stigmatiser. C’est lorsque le prochain devient autre qu’il est aliéné au sens strict, qu’il y a risque de le voir devenir la cible de projections malsaines armées de violence. À quoi sert ce mouvement, vieux comme le monde ? À se différencier, c’est-à-dire à s’éloigner de la peur d’être soi-même un « minus » ou de la crainte de le devenir un jour. À se rassembler entre « purs », ou « innocents » , trouvant un consensus sur le dos du « bouc émissaire » coupable.
    Individuellement, il ne manque pas de recettes sages pour échapper à l’autodestruction à l’autodévaluation , face aux menaces et aux menées. Cela demande de la réflexion, de l’entraînement, de l’éducation, de la recherche spirituelle, philosophique : une montée en humanité. « Nous avons refusé ce que voulait en nous la bête, et nous voulons retrouver l’homme partout où nous avons trouvé ce qui l’écrase » aurait dit Malraux. L’homme en nous s’éduque. Il n’est pas donné d’être sage et joyeux. Cela doit s’acquérir. La présence des dieux n’éloigne pas automatiquement la violence que l’homme fait à l’homme. La dérive sectaire est le risque permanent de toute religion.
    Ce que je veux dire, c’est qu’il est réel que l’aliénation change continuellement de cible. Le mécanisme semble éternel. Et ce ne sont pas seulement les minorités qui sont visées. Les femmes ne sont pas, dans le monde le plus petit groupe social. Les personnes âgées non plus. Si la sagesse, au rang de laquelle je mets l’humour, est le meilleur gilet de sauvetage face à la « méchanceté », la passion solidaire de l’humanisme est le paquebot qui permettra la traversée. Il paraît que l’empathie ne peut s’enseigner : on l’a ou on ne l’a pas. Pour ceux qui ne la possèdent pas comme langue maternelle, je leur souhaite de la prendre en deuxième langue et de trouver de bons professeurs. De la même façon qu’il n’est pas besoin d’être français pour parler français, je pense qu’apprendre la force véritable de l’empathie en en apprenant les gestes fera naître une seconde nature, un peu comme Pascal le disait de la foi : « agenouillez-vous et priez et vous croirez ».
    Autrement dit : la lifejacket et le navire ne s’excluent pas l’un l’autre. On doit les voir ensemble au même endroit ! Mais ce que je veux dire depuis le début, c’est qu’on ne peut traverser l’océan de la vie uniquement grâce à son flotteur individuel.

  14. nul n’est méchant volontairement

    chacun est bon pour lui émotionnellement

    L’intention est toujours bonne, du point de vue de celui qui agit pour ce qu’il considère, dans
    l’instant, comme la meilleure réponse trouvée pour rester en vie.

    L’intention est toujours bonne également chez celui qui reçois cet acte touchant en lui une blessure et qu’il tente d’éviter comme la meilleure réponse, dans l’instant, pour rester en vie.
    Ainsi vivons nous la plupart du temps hors de nous, de notre plein gré.

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